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La négociation collective et les rapports sociaux au sein des multinationales

Du 3 au 7 mai 2023 a eu lieu un séminaire européen sur « La négociation collective et les rapports sociaux au sein des multinationales », organisé par la CFTC (Confédération Française des Travailleurs Chrétiens), en coopération avec EZA et financé par l’Union européenne. Le séminaire a été organisé dans le cadre du projet spécial Balkans occidentaux. 33 représentants d’organisations de travailleurs d’Albanie, de France, d’Italie, de la Moldavie, de Pologne, du Portugal et de la Roumanie ont participé au séminaire.

Le séminaire a été animé par Joseph Thouvenel, secrétaire confédéral CFTC.

Joseph Thouvenel, Vice-président d’EZA, Graham Paul, Ambassadeur de France en Moldavie, et Igor Zubcu, Président CNSM – Moldavie, ont ouvert le séminaire.

Les sujets suivants ont été abordés :

  • « Présentation de la situation géopolitique de la région » par Monsieur Daniel Hervouët, diplômé de l’institut d’Etudes politiques de Paris. Professeur associé à Paris II (Panthéon-Assas). A titre liminaire, Monsieur Daniel Hervouët rappelle que la première victime de la guerre, c’est la vérité (dès qu’il y a un conflit, l’information qui circule est en grande partie du mensonge voire de la propagande. Il faut savoir que les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. En géopolitique le facteur clé c’est le rapport de force, et dans le domaine syndical, on est très habitué à cette notion.
  • « La situation et l’évolution des relations inter religieuses en Moldavie » par Monseigneur Cesare Lodeserto, Vicaire général du diocèse catholique de Chișinău, spécialiste des moyens de communication sociale. Monseigneur Cesare Lodeserto estime, à l’instar de l’Eglise Catholique qu’il faut dépasser la contradiction entre liberté et égalité, celle-ci prône notamment la fraternité et la solidarité. La fraternité et la solidarité se trouvent être les fondements d’un bon système politique qui elle-même ne doit pas se soumettre à l’économie.
  • « L’exemple des relations sociales dans le domaine portuaire », par Monsieur Pierre-Marie Hebert, Docteur en droit, ancien directeur de l’union portuaire Rouennaise. Le dialogue social en France est susceptible d’être complètement bloqué lorsque l’un ou plusieurs partenaires sociaux se radicalisent. Il faut préserver le pluralisme syndical, mais dans certains secteurs d’activité des syndicats ont le monopole et là aucune « négociation » ne peut emerger.  
  • « Les relations avec les multinationales importation-exportation des produits agricoles en Albanie » par Monsieur Bilbil Kasmi, Président SAUATT – Albanie.

Monsieur Bilbil Kasmi constate qu’en Albanie le dialogue social ne fonctionne pas bien, il déplore l’absence de ministère du travail, ce qui n’empêche pas les syndicalistes d’être déterminés. Il faut composer avec une inflation énorme et un gouvernement qui n’avance aucune stratégie pour le travail. On constate qu’en Albanie les relations internationales sont essentiellement agricoles. Beaucoup de sous-traitance par des entreprises d’origine italienne.

  • « Les relations syndicales avec les multinationales en Roumanie, par Monsieur Bogdan Hossu, Président de Cartel-Alfa Roumanie. Monsieur Bogdan Hossu explique que le dialogue social en Roumanie est particulier. Lors des négociations, les entreprises multinationales menacent le gouvernement de délocaliser. L’Etat intervient et décide. En 2011 une réforme du gouvernement a supprimé les contrats collectifs interprofessionnels au profit des contrats dits « locaux ». Nous demandons la modification de la loi sur le dialogue social, qui doit au minimum être revue sur deux points : le mode d’organisation syndicale et le champ d’application de la syndicalisation.
  • « La vision d’un chef d’entreprise » par Monsieur François de la Rüe du Can, ancien Président de Canon France et Directeur de Canon Europe. Pour Monsieur de la Rüe du Can, le dialogue social intelligemment mené permet la conciliation d’intérêts divergents, car le but de l’entreprise est de faire de l’argent afin de rémunérer les actionnaires et celui des salariés la pérennité de l’entreprise qui les fait vivre, dans les meilleures conditions de travail possibles. Les institutions représentatives du personnel sont indispensables, aussi bien pour les salariés que pour l’employeur. Les représentants du personnel doivent bien connaître leur entreprise et être formés en droit social. Ils doivent savoir communiquer. 
  • « Quelles relations entre une petite entreprise et les multinationales ? » Président fondateur d’ICS-Informatique et Président des champagnes Gérard Neuville. Monsieur Etienne Neuville met en avant la similitude qu’il peut y avoir entre un salarié face à son employeur et une petite entreprise face à une multinationale. Il souligne qu’il n’existe pas un cas de figure unique, mais de multiples possibilités, dont la réalité passe par la qualité des rapports humains. Il insiste sur l’intérêt des discussion-négociations, quand elles sont faites en toute franchise dans le respect des autres parties et la prise en compte des besoins fondamentaux des uns et des autres.
  • « La protection sociale, outil de négociation » par Monsieur Thomas Samsonoff Expert en protection sociale, administrateur d’Adimeco. Monsieur Thomas Samsonoff, présente l’intérêt convergent entre salariés et employeurs pour bénéficier du meilleur rapport qualité prix dans la protection sociale. Il développe les avantages sur la durée d’une bonne couverture de soin qui vient se rajouter au éléments de rémunération. Il indique comment ce sujet peut-être un terrain de négociation non conflictuel, mais au contraire favorable aux salariés comme à l’entreprise.
  • « Les relations syndicales avec les multinationales au Portugal, par Madame Maria Reina Martin, Présidente de FIDESTRA – Portugal. Madame Maria Reina Martin souligne l’importance du dialogue entre les salariés et les chefs d’entreprises. Elle s’appuie sur une expérience vécue pour montrer que l’approche sociale d’un chef d’entreprise, peut permettre une meilleure cohésion des équipes, une plus grande efficacité dans le travail, et au final, des salariés, mieux dans leur emploi et plus productifs.

La spécificité moldave :

La Moldavie, située à la frontière de l’Ukraine, nous a accueilli en sa capitale. Jeune pays, la Moldavie est indépendante depuis 1991. Diverse et complexe, la Moldavie a connu beaucoup d’instabilité politique avec des mouvements pro russes et pro européens, ce qui n’a pas facilité son développement. La présidente actuelle, Madame Maia Sandu est arrivée au pouvoir fin 2020. C’est une personnalité jeune, féminine, réformatrice, qui s’est fait élire sur un programme anti-corruption. Elle rencontre le Président Macron à Paris en février 2021. C’est l’alchimie personnelle et politique qui incite la France à renforcer ses relations avec la Moldavie. Visite du ministre des affaires étrangères, Monsieur Le Drian, le 3 mars 2022, soit quelques jours après le déclenchement de l’agression Russe en Ukraine, et le jour où la Moldavie présente sa candidature à l’union Européenne, et le jour où un avion spécial français arrive avec 40 tonnes d’aide humanitaire pour aider la Moldavie à faire face à la crise des réfugiés. En juin 2022, alors que la France préside le Conseil de l’Union Européenne la Moldavie se voit, comme l’Ukraine, reconnaître le statut d’Etat candidat. Il existe un une plateforme de soutien à la Moldavie (France, Allemagne, Roumanie) et par ailleurs le Mandat de l’AFD (agence française de développement) a été élargi à la Moldavie qui a bénéficié de deux prêts d’un montant total de 75 millions d’euros pour notamment l’assistance technique sur le secteur de l’énergie et de la rénovation du réseau de chemin de fer. Sur les relations économiques par contre, elles sont relativement limitées, il n’y a pas eu d’investissement très fort des entreprises françaises, ces dernières étant frileuses à l’égard de la Moldavie (pays ayant souffert pendant des années de corruption endémique. Les entreprises n’aiment pas travailler dans ce genre d’environnement). Mais aujourd’hui le climat des affaires a évolué. Nous avons une soixantaine d’entreprises françaises, la plus grosse étant Orange.

En Moldavie, il existe une véritable « éthique du travail ». 

Résultats du séminaire

Pour une parfaite efficience du dialogue social, celui-ci doit laisser son champ de responsabilité aux partenaires sociaux. Le rôle de l’Etat étant éventuellement d’impulser et de suppléer aux manquements. Que ce soit comme par exemple, en France, le régime de l’assurance chômage ou celui des retraites dans le privé. En effet la pérennité de ces systèmes a du mal à être mise en œuvre dès que, une troisième personne intervient. Il est constant que lorsque des négociations « bloquent » le troisième intervenant va irrésistiblement, pour dénouer le conflit, se rapprocher de l’un des deux protagonistes et tenter de le satisfaire afin que ce dernier négocie. De surcroit, l’Etat est en position de force puisque c’est lui qui décide in fine. Par ailleurs lorsque l’un des négociateurs a bénéficié de l’intervention de l’Etat comme lorsque les salariés français ont cessé de payer leur part de cotisations pour l’assurance chômage, ils ont eu le sentiment d’avoir gagné. Mais c’était sur le coup, car à ce jour ils perdent petit à petit le bénéfice d’un système qui était avantageux, généreux et des mesures drastiques et pénalisantes vont être prises encore par l’Etat. Tout le monde va être perdant.

Pour la négociation d’entreprise, que se soient organisations syndicales ou organisations patronales on constate que tout monopole d’une centrale syndicale est délétère. La centralisation des décisions syndicales qui s’appliquent localement alors qu’elles ont été prises à des centaines de kilomètres de l’entité économique concernée sont tout simplement mortifères pour celle-ci. Par exemple, le blocage des raffineries, en France, c’est à terme des industries qui ferment sur leur territoire d’origine pour aller s’installer là où le climat social est bien plus serein. Dans les entreprises multinationales c’est la même chose, lorsque les décisions sont prises par le siège social pour des entités situées à des milliers de kilomètres, cela ne fonctionne pas non plus. Par contre on constate que les négociateurs, côté salariés, dans les grandes entreprises de dimension internationale, s’ils savent rester proches des préoccupations des salariés, sont mieux informés et formés sur le fonctionnement de leur entreprise, sont plus aptes à négocier dans l’intérêt de l’entreprise au sens global (l’intérêt des salariés équivaut aux intérêts de l’entreprise soit, sa pérennité et son développement).