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Numérisation, télétravail et lieu de travail : la pandémie a-t-elle vraiment ouvert une porte de non-retour ?

Cela fait un an et demi que le monde était confronté à une pandémie qui a eu un grand impact sur nos vies. Tout ce que nous considérions comme normal et comme acquis n’était absolument plus possible. La vie sociale était interrompue. Il n’était plus évident et il était fortement déconseillé de se rendre sur son lieu de travail.

Qu’est-ce que cela signifiera pour l’avenir du travail ? Pour l’organisation et sa culture? Et quelles seront les conséquences sur le leadership ?

Du 31 mai au 1er juin 2022, environ cinquante représentants d’organisations de travailleurs ont débattu de l’avenir de l’emploi au cours du séminaire de deux jours dans la ville de Vienne concernant la « Numérisation, télétravail et lieu de travail : la pandémie a-t-elle vraiment ouvert une porte de non-retour ? ». Le séminaire était organisé par l’Organisation mondiale des travailleurs (OMT), en coopération avec le Centre européen des travailleurs (EZA) et financé par l’Union européenne. La question principale étant « À quoi ressembleront le monde du travail et le lieu de travail après la poursuite de la numérisation et l’augmentation du travail à distance ? ».

« Les préoccupations concernant l’avenir de l’emploi ne sont pas nouvelles » a dit Maria Mexi, spécialiste de l’emploi et de la politique sociale et membre au Centre Albert Hirschman sur la démocratie, et consultante senior à l’OIT (Grèce). Avant la pandémie, il y avait beaucoup de craintes concernant l’impact et la perturbation qu’auraient la numérisation et les progrès numériques sur le marché du travail. Cette conversation a été décalée après l’apparition de la pandémie. « Maintenait, il est clair que le génie numérique ne retourne pas à la bouteille et que nous devons planifier l’avenir du travail basé sur le « travail indépendant décent » et ancré dans le respect de soi et la dignité, la sécurité et l’égalité des chances, la représentation et la voix », a souligné Maria Mexi.

Michael Gogola, spécialiste juridique de GPA (Autriche), s’est focalisé sur les défis du travail à distance. « Il y a de nombreuses opportunités, mais tout autant de risques », selon lui. Ce qui est très important, c’est d’avoir des accords légaux solides. Il faudra que l’on sache parfaitement qui est responsable de quoi. Le cade légal du « travail à domicile » devrait être clairement défini.

Astrid Schöggl, spécialiste des affaires numériques à la Chambre fédérale autrichienne du travail (Autriche), a considéré la numérisation sous l’angle de l’organisation. Elle voit un grand nombre de conflits lorsqu’il s’agit de numérisation et d’organisation. Particulièrement en regardant la régulation et la surveillance. Sur le lieu de travail, des systèmes sont en place pour voir ce que font les salariés. Cela est moins clair pour les salariés travaillant à distance. Causant une crise de l’organisation.

Une approche très différente est venue de Srđan Senjanin qui a parlé de « Comment utiliser ses méninges pour créer des syndicats à l’ère numérique ». Alors que dans le passé, la plupart des gens que vous connaissiez regardaient et lisaient plus ou moins les mêmes choses, nous voyons qu’à l’ère numérique, les teenagers lisent différents livres, jouent à différents jeux et aiment différents films. Il semble impossible de trouver des bases communes pour la connexion. Pour les syndicats : « Vous pouvez utiliser la technologie de l’ère numérique, mais cela ne signifie pas que votre communication soit à l’ère numérique ! La communication est essentielle, mais celle-ci ne fonctionne que si vous connaissez votre groupe cible, que si vous connaissez tout sur vos services ; que si vous communiquez dans la langue de votre groupe cible.

Irina Semjonova, spécialiste du projet « Mise en œuvre pratique et amélioration de la supervision des dispositions légales sur la protection du travail », à la Confédération syndicale libre de Lettonie – LBAS (Lettonie), s’est focalisée sur la perspective des salariés et des employeurs lorsqu’il s’agit du travail à distance. Ici aussi, on a souligné que les employeurs avaient un rôle important à jouer. Alors que les salariés y voient un certain nombre d’avantages, les employeurs ne sont pas pleinement convaincus. Bien qu’ils y voient aussi des avantages, ils perçoivent les choses différemment, considérant que la protection du travail et l’environnement de travail à domicile étaient sous la responsabilité des salariés.

Ian DeWaard, directeur provincial de CLAC Ontario et Mme. Annette Taylor, directrice des relations humaines chez CLAC (Canada), ont présenté le sujet suivant : « L’augmentation du travail à distance et du travail indépendant, et la réaction de l’Union ». Au Canada, les évolutions ne sont pas très différentes de celles de l'Europe, avec une forte augmentation du travail à distance (de 4 % en 2016 à 32 % en 2021). Comme nous l'avons dit précédemment, les frontières entre le travail et la vie privée s'estompent, plus de 80 % des travailleurs déclarant travailler plus longtemps. Le fait que les gens adoptent le travail à distance devient évident lorsque 43 % des Canadiens déclarent qu'ils chercheraient un nouvel emploi s'ils étaient obligés de travailler au bureau à temps plein. Pour les syndicats, la tâche importante consiste à suivre l'évolution de la situation.

L’intervenant final était Gerfried Stocker, directeur général et artistique d’Ars Electronica (Autriche). Il a commencé sa présentation par la déclaration suivante : « Si l’éducation vous parait chère, essayez l’ignorance ». Il a fait la distinction entre la NUMÉRIsation, la DIGITALIsation et la transformation NUMÉRIQUE. Chacune de ces disciplines requiert un type de compétence diffèrent. Stocker déclare que « La pandémie a entrainé une nouvelle « vague d’immigration » dans « l’espace numérique ». Le monde numérique est accessible à de plus en plus de gens avec tous les niveaux d’éducation et d’intérêt. L’intelligence artificielle est en hausse. Mais à qui appartiennent les données et qu’arrivera-t-il si l’IA cause des dommages ? Des questions intéressantes auxquelles on n’a pas encore trouvé de réponses.

La pandémie a-t-elle donc ouvert une porte de non-retour en ce qui concerne la numérisation, le travail à distance et le lieu de travail. Des évolutions étaient déjà en place bien avant, mais la pandémie a accéléré les choses. En un court laps de temps, beaucoup de choses ont changé. Plus vite que ce qui aurait dû être le cas normalement. C'est un véritable défi pour les employeurs, les salariés et les syndicats. Toutes les parties prenantes essaient de trouver ce qui est le mieux. Il s'agit d'un processus continu. Si l'on considère les progrès techniques réalisés au cours des trente dernières années, on s’aperçoit que le défi n'est pas facile à relever. Une fois encore, la communication (et la confiance) sont essentielles. Et c'est ce que nous savons faire en tant que syndicats.