EZA MAGAZINE
EZA PODCAST

Renforcer la capacité des syndicats en Europe du Sud-Est pour améliorer les salaires et les conditions de travail dans les secteurs des vêtements et des textiles

Du 2 au 3 octobre 2019 a eu lieu à Maria Bistrica en Croatie un séminaire sur « Renforcer la capacité des syndicats en Europe du Sud-Est pour améliorer les salaires et les conditions de travail dans les secteurs des vêtements et des textiles », organisé par Recht en Plicht, avec le soutien d’EZA et de l’Union européenne. Une trentaine de participants de 19 organisations syndicales des secteurs du textile et de la confection.

Dans son introduction, Vinciane Mortier, Secrétaire générale ACV-CSC METEA a souhaité la bienvenue à tous les participants.

Nenad Leček président de l’organisation hôte prononce un mot de bienvenue au nom de son organisation TOKG.

Dans sa présentation, Luc Triangle, Secrétaire général d’IndustriAll Europe, a épinglé l’exode de travailleurs de l’Europe de l’Est principalement vers les pays de l’Europe de l’Ouest comme facteur de risque pour les économies de leurs pays d’origine. Cette évolution n’est pas sans risque pour la stabilité économique des pays d’origine de ces travailleurs. Afin d’offrir à ces pays un avenir meilleur, les syndicats doivent essayer d’améliorer les conditions de travail et de revenu dans cette région. Pour ce faire, IndustriAll Europe, a mis en place une série d’outils. La Conférence TCC Europe, qui s’est tenue en novembre à Sophia, constitue un jalon important pour la mise en place d’une chaîne d’approvisionnement durable.

Dans son introduction générale au thème du séminaire, Vinciane Mortier, Secrétaire Générale d’ACV-CSC METEA, a souligné l’importance de renforcer la position des syndicats. Lorsque nous parlons de la chaîne d’approvisionnement nous sommes enclins à penser d’abord aux grandes marques ayant délocalisé leur production en Asie (Bangladesh, Chine, Inde, Indonésie, Malaisie, Sri Lanka….) pour y profiter des bas salaires et des mauvaises conditions de travail, mais à l’occasion de notre séminaire EZA en 2017, nous avons constaté que les entreprises ont commencé à redélocaliser une partie de leur production asiatique vers les pays du Sud-Est européen (Croatie, Albanie, Serbie, Roumanie, Bulgarie Macédoine du Nord…). Nous devons donc d’urgence nous atteler au renforcement des syndicats dans les pays de l’Europe du Sud-Est afin qu’ils puissent avoir un impact positif sur les conditions de salaire et de travail des travailleurs et être capables d’influencer la politique dans la région. Un syndicat doit normalement être à même de conclure des conventions collectives de travail sur les conditions de salaire et de travail tant au niveau de l’entreprise qu’aux niveau sectoriel et national. Pour y parvenir, il est indispensable d’augmenter le taux de syndicalisation et d’augmenter les moyens à mettre en œuvre. IndustriAll et des ONG telles que la Campagne Vêtements propres peuvent jouer un rôle important dans ce processus.

Dans sa présentation “Human Rights Due Diligence and Building Trade Union Power”, Ilse Dielen (service international d’ACV-CSC METEA) a d’abord esquissé le tableau politique : le glissement vers la droite politique, la pression sur la sécurité sociale et sur la concertation sociale, le démantèlement des libertés syndicales… Ensuite elle a épinglé le fait que, de plus en plus, les entreprises multinationales sont interpellées sur l’impact écologique et sociétal de leurs activités à travers de toute la chaîne d’approvisionnement, entre autres par le biais d’une prise de conscience accrue du consommateur et d’un meilleur cadre légal. Par responsabilité de la chaîne d’approvisionnement, nous entendons la responsabilité d’une entreprise du respect des droits de l’homme à travers toute la chaîne d’approvisionnement. Le guide OCDE sur le devoir de diligence pour une conduite responsable des entreprises cite parmi les principaux risques pour nos secteur les bas salaires, le travail des enfants, le travail forcé, les horaires excessifs, la liberté syndicale, la santé et la sécurité. La procédure du devoir de diligence consiste en 5 étapes :

  • Intégrer les principes de la conduite responsable des entreprises dans les politiques et systèmes de gestion d’entreprise
  • Identifier et évaluer les impacts négatifs potentiels et avérés liés aux activités, produits et services dans la chaîne d’approvisionnement.
  • Faire cesser, prévenir et atténuer les impacts négatifs
  • Suivi de la mise en œuvre du devoir de diligence et ses résultats
  • Communiquer sur la manière dont l’entreprise traite ses impacts négatifs
  • Réparer les impacts négatifs de l’entreprise, par ses propres moyens ou en coopération avec d’autres acteurs

Certes, il y a des entreprises respectueuses des principe du devoir de diligence, mais nous avons également besoin d’un cadre réglementaire contraignant en matière de la responsabilité de la chaîne d’approvisionnement. Certains pays, tels que la France et les Pays-Bas disposent déjà d’un cadre réglementaire. Mais nous avons également besoin de cadres réglementaires aux niveaux européen et mondial. Ces cadres réglementaires ne seront pas mis en place sans la pression des ONG, des syndicats, des partis politiques…

Frieda De Koninck explique comment la Campagne Vêtements propres aide les travailleurs à structurellement renforcer et améliorer leur position de négociation et leurs conditions de travail dans l’industrie mondiale de la confection et des vêtements de sport :

  • En mettant la pression sur les entreprises et les gouvernements
  • En organisant la solidarité avec les travailleurs organisés dans la chaîne mondiale d’approvisionnement et via des actions ponctuelles par rapport à des cas concrets de violations
  • Via des projets de conscientisation et de mobilisation
  • L’instauration de mécanismes juridiques via, entre autres, un travail permanent de lobbying.
  • Renforcer notre propre réseau et renforcer l’alliance mondiale pour les droits des travailleurs.

La campagne Vêtements propres n’est toutefois pas un négociateur mais plutôt un facilitateur qui jette des ponts entres les organisations syndicales afin de les permettre à constituer un front fort.

Selon lldiko Kren, strategic organiser d’IndustriAll Europe, nous avons besoin d’un syndicalisme proactif. Les affiliés doivent se sentir membre d’un syndicat. L’impact des syndicats dépend de leur représentativité. Plus ils ont d’affilés, plus ils sont forts face aux employeurs. Dans le cadre de notre projet de renforcement du pouvoir syndical nous procédons toujours par étapes : la précampagne, la préparation, jeter les bases, la phase de consolidation et la phase d’extension.

Jyrki Raina, consultant externe présente un bref état des lieux du projet d’IndustriAll sur le renforcement des relations industrielles pour améliorer les conditions de travail et de salaire dans le secteur du textile, de la confection et de la chaussure dans la région du sud-est de l’Europe. Le projet a permis de cartographier les principaux problèmes dans les pays concernés : bas salaires, peu de conventions collectives de travail, un bas taux de syndicalisation… Il convient de renforcer les syndicats des pays concernés et de mettre en place un système de concertation collective digne de ce nom. Luc Triangle, Secrétaire général d’IndustriAll Europe, confirme le fait que dans bien des pays, les syndicats ne peuvent négocier qu’au niveau d’entreprise. Le manque de fédérations patronales (représentatives) fait qu’il est impossible pour les syndicats de négocier à un niveau sectoriel voire intersectoriel. Ensuite, les organisations syndicales présentes ont présenté un état des lieux sur le projet de renforcement des syndicats dans leurs pays respectifs.

Les participants ont expliqué le plan d’action qu’ils avaient développé pour renforcer les organisations syndicales dans leur pays. A l’issue de débats intéressants, Gieljan Van Mellaert (technicien syndical d’ACV-CSC METEA pour les secteurs du textile et de la confection) et Ildiko Kren ont formulé une série de conclusions et de tâches à effectuer :

  • Les négociations visant d’améliorer les conditions de travail et de salaire se déroulent de préférence au niveau du secteur. La convention collective sectorielle sert ensuite de point de départ pour des éventuelles négociations dans les entreprises ;
  • Les syndicats doivent mettre en place des structures efficaces aux niveaux national et régional et dans les entreprises ;
  • Les syndicats doivent se professionnaliser. Grâce à une excellente formation (permanente) les délégués syndicaux doivent pouvoir devenir des figures fortes. Les syndicats doivent également se servir du savoir-faire des ONG et des experts.
  • Les syndicats devront utiliser plusieurs stratégies pour organiser les travailleurs dans les entreprises ou dans un secteur en fonction de la situation sur le terrain (présence/absence du syndicat dans l’entreprise,)
  • Le recrutement de nouveaux affiliés est essentiel pour le développement des syndicats. Pour stimuler l’affiliation, les travailleurs doivent connaître non seulement les avantages de l’affiliation mais également les désavantages de ne pas être affilié à un syndicat.
  • N’oublions pas que le secteur peine à trouver des jeunes travailleurs. Les syndicats doivent rester attentifs à la problématique spécifique des jeunes.

Dans le cadre de l’analyse de la chaîne d’approvisionnement en Europe, les participants au séminaire ont effectué une visite d’étude à Kotka Industries (Krapina). Kotka Industries est un confectionneur, spécialiste en costumes sur mesure. L’entreprise travaille essentiellement pour quelques marques ouest-européennes (e.a. des marques italiennes, allemandes et norvégiennes). Josip Palin, chef de l’entreprise et Nenad Leček et Ljubiča Hosni (TOKG), nous avons traité de la concertation sociale dans le pays de production, en l’occurrence, la Croatie.

Mario Ivekovic, de Novi Sindikat et actif pour la CCC Europe de l’Est, a brossé le profil des secteurs du textile et de la confection en Roumanie et du dialogue social dans ce pays et, plus particulièrement, dans les secteurs précités. Voici quelques éléments marquants de sa présentation:  

  • Le salaire dans ces secteurs correspont à 14% d’un salaire permettant de vivre convenablement
  • Beaucoup de travailleurs se voient contraints à prester des heures supplémentaires sans compensation
  • Les travailleurs ont peur de perdre leur emploi et acceptent de prester ces heures supplémentaires
  • Mauvaises conditions de travail (les ateliers sont insuffisamment ventilés et n’ont plas de climatisation)
  • Dans les ateliers, une chaleur insupportable pendant l’été
  • Pas de pauses
  • Des retenues sur le salaire ou sur les vouchers si les objectifs de production ne sont pas atteints.

Les récentes modifications au droit du travail roumain ont fondamentalement modifié le modèle de concertation sociale et de négociations collectives :

  • Suppression du niveau national de concertation (qui fixait entre autres les  salaires  minimum)
  • Obligation de conclure des CCT uniquement à partir de  21 travailleurs
  • Pour être représentatif, un syndicat doit représenter au moins 50% des travailleurs
  • Il est dorénavant impossible  de créer un syndicat ou de réaliser des activités  syndicales dans des entreprises de  moins de 15 travailleurs
  • Il est devenu nettement plus difficile d’exercer le droit à la grève

Le syndicat Roumain UNICONF fait remarquer que la part des travailleurs dans les cotisations sociales a été considérablement augmentée, au bénéfice donc des employeurs. Cette augmentation a complètement consommé l’augementation du salaire minimum. 

Les conditions de travail et de salaire doivent être améliorées de bas en haut mais également de haut en bas (mise en place d’une législation favorable). En outre, il est nécessaire que les entreprises en Europe centrale et de l’Est doivent assumer la responsabilité pour ce qui se passe dans leur partie de la chaîne d’approvisionnement. Des infractions doivent être passibles de sanctions. Nous repérons de bonnes pratiques en matière de due dilligence (devoir de diligence) aux Pays-Bas et en France, mais le niveau européen devra suivre cette évolution, ce qui est loin d’être le cas à ce jour.

A l’issue des presentations et des débats, Vinciane Mortier formule une série de conclusions, entre autres :

  • Les syndicats participants au séminaire s’engagent à dresser un plan d’action pour renforcer la position des syndicats dans leurs pays, secteurs et entreprises. On doit mettre en place un réseau syndical européen fort qui permet aux syndicats d’échanger des informations et de s’entre-aider. Ce plan d’action doit permettre aux syndicats de mettre  en place une véritable stratégie de renforcement des organisations syndicales. Ce plan stratégique porte entre autres sur les points suivants :
    • La formation des délégués constitue la clef de voute d’un syndicat fort dans les entreprises
    • Le syndicat doit s’organiser de façon efficace, lui permettant d’être actif et d’obtenir des résultats à plusieurs niveaux.
    • Les syndicats doivent mettre en place un modèle efficace de concertation sociale leur permettant de conclure aux niveaux national, sectoriel et d’entreprise des CCT améliorant les conditions de travail et de rémunération des travailleurs.
  • Le travail au niveau national, sectoriel et d’entreprise doit se prolonger au niveau européen, entre autres par le biais des comités d’entreprise européens.