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Quelles sont les conditions pour le développement de territoires zéro chômeur de longue durée ?

Du 17 au 18 juin 2021 a eu lieu un webinaire organisé par le CET Namur en collaboration avec le CEC et le soutien d’EZA et de l’Union européenne sur le sujet des « Quelles sont les conditions pour le développement de territoires zéro chômeur de longue durée ? »

Le projet Territoires zéro chômeur longue durée (TZCLD) existe en France depuis 2016 et est encadré par une loi dont le principe a été confirmé fin 2020 et actant l’extension de l’expérience à 50 territoires supplémentaires. En Belgique, un intérêt politique envers TZCLD a été manifesté par les gouvernements régionaux (Wallonie et Bruxelles capitale) et par le gouvernement fédéral dit Vivaldi. Le Gouvernement wallon a confirmé fin juin au Parlement de Wallonie le lancement d’un appel à projet en 2022 afin de pouvoir sélectionner une dizaine de territoires expérimentaux mais de nombreux points restent à éclaircir auparavant, au niveau juridique notamment. Notre webinaire s’inscrivait dans la continuation d’un précédent séminaire tenu à Namur en juin 2019, lequel avait posé les bases pour une compréhension du projet expérimental français. Il s’agissait en 2021 d’évaluer les forces et les faiblesses du système en tirant les leçons du travail parlementaire en France, en examinant les résultats d’études académiques menées en Belgique par différentes universités ou chercheurs mais aussi en prenant connaissance d’expérimentations de terrain menées en France et en Belgique et commentées par les acteurs du terrain. Outre les acteurs de terrain, notre webinaire avait tenu à inviter aux débats, les partenaires sociaux et la Commission Européenne.

Andrée Debrulle, vice-présidente du CEC a rappelé le contexte législatif, financier et économique en France et en Belgique ainsi que les questions d’ordre culturel liées aux représentations qu’on a du travail, des compétences des demandeurs d’emploi mais aussi de la façon de mobiliser les acteurs locaux (élus locaux, syndicats, entreprises, habitants, chômeurs, secteur associatif etc…) pour la mise en place TZCLD.

Aline Bingen du département de Sciences Sociales de Travail de l’Université Libre de Bruxelles a présenté les résultats de plusieurs recherches réalisées sur le sujet soulignant les freins à l’identification des envies et projets des chômeurs, des expérimentations menées en Belgique depuis des décennies pour combattre le chômage de longue durée en y intégrant également la dimension du développement territorial et de la non-concurrence entre partenaires publics et privés.

Julien Charles, coordinateur de recherche Centre Socialiste d’Education Permanente (CESEP) coauteur de l’étude « 20 conditions pour une appropriation réussie de TZCLD en Belgique francophone » a présenté les 5 objectifs et moyens dont parmi ceux-ci, l’universalisation de l’accès à l’emploi en incluant les personnes les plus éloignées de l’emploi, assurer la sécurité économique des travailleurs en stabilisant l’emploi, favoriser la vitalité démocratique des territoires en créant des Comités Locaux d’Emploi (CPE).

Louis Berny, Travail de fin d’études à l’UCL "Territoires zéro chômeur de longue durée en Belgique : Quels contours pour un emploi de qualité ? Comparaison avec des mesures wallonnes de promotion de l’emploi" il nous a présenté trois mesures de promotion de l’emploi existantes en Wallonie : les initiatives de développement de l'emploi dans le secteur des services de proximité à finalité sociale (I.D.E.S.S.), les entreprises d’insertion et le système des titres-services.

Laurent Grandguillaume, Président bénévole de l’association TZCLD et auteur de la loi TZCLD en France souligne que plus qu’un dispositif réglementaire, on est face ici à un projet de transformation sociétale porté par le terrain et non pas imposé par le haut.

Paul Timmermans, Président de la Chambre Emploi-Formation de l’instance Bassin Sud a fait un état les lieux de l’initiative TZCLS en Wallonie.

Paul Palsterman, Secrétaire régional, Confédération des Syndicats Chrétiens, Bruxelles : De manière générale, les syndicats partent d’une démarche de sympathie envers le projet TZCLD et ses 3 slogans fondateurs. Mais en même temps, en tant que syndicats ils restent attentifs aux détails du projet.

Gaetan Van Loqueren, project leader TZCLD pour ACTIRIS a tout d’abord partagé le constat fait par Actiris. Il y avait fin de l’année 2019 environ 250.000 demandeurs d’emploi inoccupés de plus de 12 mois en Belgique. Les politiques régionales et fédérales ont eu peu d’impacts sur les demandeurs d’emploi inoccupés de longue durée.

Camille Delpey, cheffe de projet TZLCD pour la ville de Paris a présenté l’expérience menée depuis fin 2016 dans deux quartiers défavorisés du 13 arrondissement de la Ville de Paris se situant près d’un zoning regroupant des activités tertiaire, le plus grand hôtel de start-up du monde et un pôle universitaire. Xavier Desgain, Échevin de l’emploi à Charleroi a souligné la difficulté au niveau local, de trouver des fonds pour développer des politiques de lutte contre le chômage de longue durée.

Lars Engsted, Team Leader de l’Unité en charge de la Stratégie pour l’Emploi à la DG Emploi, Affaires sociales et Inclusion de la Commission européenne a rappeler les recommandations du Conseil relatives à l’intégration des CLD sur le marché du travail (2016/c 67/01) et les nouvelles mesures pour encourager l’inscription des personnes non enregistrées dans aucun service public du soutien dont elles peuvent disposer (accès à la formation dans les 6 mois suivant le chômage,…) ainsi que les caractéristiques des Accords d’Intégration Professionnelles, l’état de lieux dans les Etats membres des guichets uniques d’information pour les demandeurs d’emplois et des dernières statistiques du chômage de longue durée en Europe et de la participation des CLD de 25-65 ans à l’éducation et la formation.

Chantal Richard, CFDT, Secrétaire Confédérale en charge du dossier « Insertion, Pauvreté et Chômage ». La CFDT s’est engagée dans les TZCLD au moment de l’élaboration de la première loi avec un regard de bienveillance mais aussi de vigilance sur les points suivants : - l’aspect expérimental : c’est un concept très intéressant car il permet d’avancer dans le projet, de rencontrer des difficultés auxquelles on n’a pas pensé et d’essayer de les résoudre. Mais cette expérience issue de critères bien précis de la loi doit être évaluée selon les critères bien précis de la loi.

Ignacio Doreste, Conseiller Inclusion et Emploi – Confédération Européenne des Syndicats (CES) La CES n’a pas de position sur cette politique nationale. Néanmoins, elle porte beaucoup d’intérêt au projet TZCLD surtout dans le cadre d’une discussion pour une potentielle Garantie européenne pour l’emploi. Tatiana Vial Grosser, Co-Directrice Fédération Bruxelloise des Organismes d’Insertion Socioprofessionnel – FEBISP.

Vial Grosser souligne l’importance d’implanter les TZCLD du côté de l’insertion, et de donner plus d’importance à la personne qui sera mise à l’emploi.

Conclusions de Jean-Paul Tricart, Président du CEC. Au terme de ce webinar sur l'initiative TZCLD, il a remercié, au nom du CEC, l'ensemble des institutions et des personnes qui l'ont rendu possible. C'est le deuxième séminaire que le CEC et le CET Namur consacrent à l'initiative TZCLD. Si nous avons voulu ainsi approfondir la réflexion que nous avions engagée en 2019 à ce sujet, c'est parce que nous avons pu mesurer la grande bienveillance et le réel intérêt que rencontre l'initiative TZCLD auprès de nombreux acteurs de l'action locale dans les domaines de l'inclusion sociale, de la formation, de l'économie sociale, notamment en France et en Belgique, et parce que nous avons voulu aider et encourager ces acteurs à en comprendre les forces et les faiblesses, et à en tirer des leçons pour leurs propres actions.9 Le webinar a confirmé cet intérêt, tout en suggérant que l'on s'interroge précisément d'abord sur les raisons pour lesquelles il y a un tel intérêt. Il y a en effet un décalage entre le nombre relativement limité d'expériences concrètes TZCLD, c'est à dire sa « réalité » en termes de réponse effective à l'ampleur du chômage de longue durée (quelques milliers de chômeurs effectivement pris en charge) et l'abondance voire l'emphase de la production de discours relatifs à cette initiative, et à ses « promesses ». Certains ont souligné leur sympathie pour ses « slogans fondateurs », sa rhétorique de réconciliation de l'économie et du social et sa volonté de changer le regard sur les demandeurs d'emploi, tout en exprimant leurs doutes voire leur vigilance quant à son ambition ou sa prétention à être une « solution miracle », à la fois économiquement rentable et socialement désirable. Au demeurant, la lutte contre le chômage de longue durée ne peut évidemment se réduire à la modernisation ou le renforcement des actions d'intégration auprès des chômeurs de longue durée : elle suppose aussi la transformation de certains des mécanismes de régulation du marché du travail et des politiques d'indemnisation du chômage ou d'accompagnement des restructurations. Donc, première conclusion de nos échanges, la nécessité de s'interroger sur l'inflation des discours ou des « narrations » qui concernent l'initiative TZCLD, d'être attentif aux contradictions que ces narrations viennent souvent recouvrir ou rendre confuses et donc aussi d'examiner comment les divers acteurs concernés s'approprient tout ou partie de ces discours. Ce webinar a aussi permis d'entendre les acteurs engagés dans des actions concrètes, la construction difficile de partenariats, la recherche des financements, la prise en considération des rapports de forces locaux, la confrontation aux logiques des institutions, l'adaptation aux spécificités des territoires locaux etc. Les analyses et les témoignages qui ont été proposés donnent un contenu concret aux débats relatifs à la nature des « entreprises à but d'emploi », des « comités locaux de l'emploi » etc. Ils conduisent aussi à situer les expériences TZCLD dans le contexte plus large de l'ensemble des politiques ou des dispositifs d'action relatifs à la promotion de l'emploi et de l'inclusion sociale au niveau local. Ces échanges ont aussi montré qu'il ne s'agit jamais de simplement transférer ou étendre à un autre territoire une méthodologie d'action qui aurait été éprouvée ailleurs, mais à chaque fois de ré-créer une mobilisation d'acteurs et de permettre la ré-appropriation par ces acteurs des leçons des expériences développées ailleurs. Le CEC mettra évidemment à la disposition des participants l'ensemble des textes et documents des interventions présentées lors du webinar. Ces débats ont souligné l'utilité d'un débat public sur le chômage de longue durée et les actions qui peuvent être menées localement en faveur des personnes concernées. Plusieurs participants ont souligné que la catégorie administrative ou statistique de « chômeurs de longue durée » pouvait être confuse ou inadéquate pour décrire l'ensemble des situations de décrochage, d'exclusion ou de retrait durable du marché du travail qui appellent des réponses en termes d'inclusion sociale des personnes concernées mais aussi des réponses en termes de construction de marchés du travail qui soient réellement inclusifs. Le CEC est prêt à travailler en ce sens avec les acteurs locaux, régionaux, nationaux et européens intéressés à ces analyses et à la promotion d'un débat public impliquant à la fois les experts, les autorités publiques, les partenaires sociaux et les organisations de la société civile.