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60 années de coordination de la sécurité sociale dans une perspective travailleurs

Du 16 au 17 mai 2019, un séminaire a eu lieu, ayant pour thème « 60 années de coordination de la sécurité sociale dans une perspective travailleurs », organisé par HIVA - Onderzoeksinstituut voor Arbeid en Samenleving, avec l’aide financière d’EZA et de l’Union européenne.

Sous la Commission Juncker, une attention renouvelée a été accordée à la dimension sociale de l’Europe.[1] Néanmoins, « l’Europe sociale » a toujours été une réalité, notamment en ce qui concerne la mobilité des personnes en Europe. À partir de 1958, le traité incluait une base juridique solide à la législation dans le domaine de la coordination de la sécurité sociale. Cette base juridique est maintenant contenue dans l’article 48 du TFUE. Elle oblige le législateur, le Conseil et le Parlement européen à prendre des mesures visant à assurer, dans le domaine de la sécurité sociale, la protection des personnes qui font usage de leur droit à la libre circulation. Les règlements 3 et 4, qui coordonnent tous les deux les systèmes nationaux de sécurité sociale au niveau de l’UE, ont été l’un des premiers domaines dans lesquels l’UE était active. Le règlement actuellement en vigueur est le règlement de base 883/2004 et le règlement 987/2009 sur la « mise en œuvre ».

En mai 2019, une conférence a été organisée par l’HIVA – l’Institut de recherche pour le travail et la société sur les soixante ans de coordination de la sécurité sociale du point de vue destravailleurs.[2][3] Elle nous a donné l’occasion de discuter du contexte historique, du contexte social et politique actuel ainsi que des défis à venir. Ce résumé fait l’évaluation des règles de l’UE en matière de coordination des systèmes de sécurité sociale sur la base des présentations des conférenciers à la conférence. L’évaluation est fondée sur un certain nombre d’objectifs qui pourraient être atteints par le règlement de : 1) l’équité individuelle, 2) l’équité financière, 3) la facilité administrative et enfin 4) l’équité concurrentielle.

Le groupe de personnes protégées par le système de coordination européen n’est certainement pas petit et ne peut pas être réduit aux migrants intra-européens. En effet, le règlement sur la coordination protège aujourd’hui, dans le domaine de la sécurité sociale, tous les citoyens de l’UE qui se déplacent entre les États membres, que ce soit pour des raisons liées au travail ou pour d’autres raisons (vacances, soins de santé planifiés, déménagement à l’étranger en tant que retraité, etc.). Comme nous le verrons ci-dessous, les règles du règlement sur la coordination s’appliquent non seulement aux ressortissants de l’UE, mais aussi aux ressortissants de Norvège, d’Islande et du Liechtenstein, en vertu de l’Accord sur l’Espace économique européen (EEE), ainsi qu’aux ressortissants suisses, en vertu d’un accord bilatéral sur la libre circulation des personnes. Quelques chiffres pour illustrer l’importance numérique de l’étendue du système de coordination européen (tableau 1). En 2017, on comptait dix-neuf millions de personnes en mouvement dans l’UE/AELE, selon les statistiques démographiques d’Eurostat, dont 14 millions de personnes en âge de travailler (de 20 à 64 ans). Elles représentaient 3,6 % de la population totale de l’UE/AELE et 4,5 % de la population totale en âge de travailler dans l’UE/AELE. Ces chiffres nous donnent une idée sur le nombre de personnes en mobilité dans l’UE/AELE[4], mais ne disent rien sur le flux annuel de ce groupe de personnes. Par exemple, quelques 2,1 millions de personnes qui ont émigré vers l’UE/AELE en 2017 vivaient auparavant dans un autre pays de l’UE/AELE. En outre, quelques 1,9 million de travailleurs transfrontaliers ont travaillé dans l’UE/AELE en 2017, soit environ 1,8 million d’affectations et finalement environ 1 million de personnes qui travaillaient normalement dans deux États membres ou plus. En outre, environ 1,8 million de citoyens de l’UE/AELE âgés de soixante-cinq ans et plus vivaient dans un pays de l’UE/AELE autre que leur pays de citoyenneté, soit 1,8 % de la population âgée de soixante-cinq ans ou plus dans l’UE/L’AELE. Enfin, les résidents de l’UE/AELE ont également effectué environ 229 millions de voyages avec des nuitées dans un autre pays de l’UE/AELE, cela représente quelques 204 millions de voyages touristiques et environ 25 millions de voyages à des fins professionnelles (par exemple des voyages d’affaires)).

  1. Équité individuelle

L          Le règlement sur la coordination garantit la transférabilité des droits de sécurité sociale dans l’UE/AELE. Le concept de « portabilité » a été très bien développé dans la littérature économique. Il est compris comme la capacité de la personne en mobilité à préserver, à maintenir et à transférer ses acquis des droits à la sécurité sociale, indépendamment de sa nationalité et de son pays de résidence. Le statut de protection sociale des migrants peut être classé en quatre régimes (régime I : portabilité, régime II : exportabilité, régime III : pas d’accès, régime IV : informel). Le régime I est le plus favorable en termes de protection sociale formelle pour les migrants. La recherche montre que seulement un quart du nombre total de migrants dans le monde est couvert par un tel régime. Elle s’applique toutefois à tous les citoyens de l’UE et de l’AELE qui se déplacent au sein de l’UE/AELE. C’est un bon exemple de protection sociale bien développée que l’UE offre aux personnes en mobilité qui est loin d’être garantie dans le reste du monde.

Le         La législateur de l’UE a mis au point un niveau de techniques de coordination de haute qualité pour coordonner la variété des systèmes de sécurité sociale, sur la base de quatre principes-clés : 1) l’interdiction de la discrimination, renforcée par l’égalité de traitement des faits et des événements transfrontaliers (c’est-à-dire le principe d’assimilation), 2) l’agrégation des périodes, 3) l’exportabilité des prestations et 4) la détermination d’une législation unique applicable. En conséquence, le règlement « tisse un réseau homogène de protection sociale : où qu’ils se trouvent, les migrants ont un accès ininterrompu à de nombreux avantages sociaux », comme l’a fait valoir Rennuy (2019). Notamment parce que la portée personnelle et matérielle a constamment été élargie depuis 1959. En outre, comme l’a souligné Cornelissen (2019), dans certains aspects, le règlement sur la coordination prévoit une protection sociale qui va même au-delà de la simple coordination, puisque des droits sont créés que les citoyens n’auraient pas autrement. On pourrait même affirmer que, grâce à certaines dispositions ou à une certaine jurisprudence, la personne en mobilité ou la famille de la personne en mobilité a la garantie d’un niveau de protection sociale qui est parfois meilleur que les personnes « non en mobilité ». C’est parce que 1) dans son ensemble, la famille de la personne en mobilité est couverte par les régimes de sécurité sociale de plus d’un État membre ou 2) la personne en mobilité a le droit de choisir dans quel État membre elle réclamera un avantage spécifique ou 3) le résultat de l’application des règles de l’UE doit être comparé au résultat de l’application des règles nationales pertinentes (De Wispelaere, 2019). Les observations ci-dessus donnent l’impression que l’ambition écrasante du considérant 1 du règlement 883/2004 d’améliorer le niveau de vie et les conditions d’emploi des personnes en mobilité est (progressivement) réalisée.

Cependant, nous ne pouvons pas fermer les yeux sur certaines lacunes en matière de coordination de la protection sociale. Premièrement, on constate un risque de lacunes dans la protection sociale lorsque les gens se déplacent. Cela est dû au fait que les règles actuelles de l’UE ne tiennent pas suffisamment compte des nouvelles formes d’emploi (Schoukens, 2019). Le règlement sur la coordination a été établi à un moment où il était normal que les travailleurs aient un emploi à temps plein et permanent. Cependant, au cours des dernières décennies, nous avons constaté une augmentation significative de nouveaux types d’emplois, tels que les contrats de courte durée, à temps partiel ou cadres. Le travail des plates-formes et le télétravail sont devenus des phénomènes courants. En outre, le règlement sur la coordination n’a pas suivi le rythme de l’introduction de toutes sortes de nouvelles formes de sécurité sociale dans les États membres. Il est vrai que plusieurs nouveaux types d’avantages, tels que les prestations parentales et les allocations de soins de longue durée, ont été introduits dans la portée matérielle du règlement sur la coordination. Cependant, ce n’est pas grâce à une législature dynamique, mais à une cour dynamique. Bien que l’aide sociale ait toujours été explicitement exclue du champ d’application du règlement sur la coordination, une définition du terme « sécurité sociale » ou « aide sociale » ne figure pas dans le règlement sur la coordination. En outre, il existe un certain nombre d’avantages non contributifs, financés non pas par des cotisations, mais par des impôts qui ont les caractéristiques de la sécurité sociale et de l’aide sociale. La question se pose donc de savoir si la distinction établie entre la sécurité sociale et l’aide sociale sera défendable à l’avenir, d’autant plus que la différence entre ces concepts s’est estompée (Verschueren, 2019). La discussion récurrente sur le « tourisme social », lorsqu’on parle de l’accès à l’aide sociale pour les récents mouvements entrants de l’UE et de l’AELE, soulève également cette question. Cela est encore plus élaboré dans la section « équité financière ». Enfin, non seulement le lien entre la sécurité sociale et l’aide sociale devrait être renforcé à l’avenir, mais certainement aussi le lien entre la sécurité sociale et la fiscalité (Weerepas, 2019).

Le même type de « personnes mobiles » est parfois traité différemment par les États membres puisque cette flexibilité est autorisée par le règlement sur la coordination. Par exemple, plusieurs États membres limitent à trois mois la période d’exportation de l’allocation de chômage pour les personnes à la recherche d’un emploi dans un autre État membre, tandis que dans d’autres États membres, elle peut être prolongée de trois mois. En conséquence, les chômeurs en mobilité sont traités différemment selon l’État membre compétent. De même, certains États membres appliquent des politiques différentes en ce qui concerne l’agrégation des périodes de droit aux allocations de chômage, ainsi que sur l’exportation des prestations familiales. Le fait que les États membres déterminent leur propre législation nationale, quelles que soient les dispositions du règlement sur la coordination, sape les règles de l’UE et peut restreindre les droits sociaux des personnes en mobilité. Ces règles nationales montrent que l’un des principaux objectifs du règlement sur la coordination, qui fait du droit à la libre circulation une réalité en veillant à ce qu’une personne ne soit pas pénalisée dans le domaine de la sécurité sociale pour avoir déménagé d’un État membre à l’autre, est sous pression croissante. Elles sont mises en œuvre sous prétexte de contrer les risques du tourisme d’aide sociale. Cependant, les chiffres montrent qu’il s’agit de mythes plutôt que de faits (Pacolet et coll., 2019). Néanmoins, cela ne signifie pas que le règlement ne devrait pas chercher à établir une relation plus équilibrée entre les cotisations sociales et les dépenses sociales (voir la section suivante).

Fin       Finalement, malgré la bonne protection sociale garantie par le règlement sur la coordination, c’est une réalité que les personnes en mobilité ne prennent pas toujours leurs droits sociaux dans la pratique. Les chiffres sur l’ampleur de ce phénomène sont cependant à peine disponibles. Les chiffres rapportés par Pacolet et coll. (2019) ne donnent qu’un aperçu des personnes qui ont effectivement utilisé les règles de l’UE. Ce nombre n’est pas nécessairement égal au groupe de personnes admissibles. Néanmoins, la recherche montre qu’il peut y avoir d’importants obstacles à la revendication des droits (Fingarova, 2019 ; Seeleib-Kaiser, 2019). Dans ce contexte, il y a encore de la place pour l’amélioration de la fourniture d’informations sur les droits sociaux des personnes en mobilité. Le manque de connaissance de leurs droits sociaux peut être un obstacle informel important pour les personnes en mobilité (Berki, 2019).

  1. Équité financière

Les implications financières pour les particuliers et les États membres sont un autre élément important de l’évaluation du règlement. L’observation de Schoukens et Pieters (2009) selon laquelle « le règlement actuel ne porte guère attention à l’aspect financier de la coordination » qui s’applique encore aujourd’hui. Il s’agit d’une occasion manquée puisqu’une partie de la solution aux défis et aux controverses auxquels est confronté le règlement aujourd’hui réside dans l’aspect financier. La coordination devrait tenter d’assurer une relation équilibrée entre les cotisations et les avantages/droits sociaux. Après tout, nous ne devons pas oublier que l’article 48 TFUE lui-même, tel qu’il a été formulé après le traité de Lisbonne, attache de l’importance à la question des implications financières potentielles du règlement sur la coordination. En outre, cette attention à l’impact financier est présente, tant auprès du législateur que du pouvoir judiciaire, en ce qui concerne l’accès à l’aide sociale pour les mouvements entrants récents de l’UE (Verschueren, 2019; Devetzi, 2019). L’interprétation de la notion de « charge déraisonnable » est ici un point de discussion fréquent.

Afin de pouvoir analyser l’impact financier des personnes en mobilité par l’application du règlement sur la coordination, il est important d’avoir une bonne compréhension des variables qui détermineront cela. Il existe trois variables importantes : 1) l’étendue de la mobilité dans l’UE/AELE ; 2) la législation nationale sur la sécurité sociale ; et 3) les dispositions définies dans le règlement sur la coordination. Ce résumé n’aborde que l’impact des dispositions de l’UE elles-mêmes. Néanmoins, il est certainement également utile d’examiner en détail l’impact des deux autres indicateurs.

Lorsque nous parlons d’équité financière, nous devons d’abord et avant tout parler d’un partage équitable des charges entre les États membres. Les chercheurs soulignent que le règlement sur la coordination ne traite pas correctement du partage des charges entre les États membres concernés dans une situation donnée. Cela est principalement dû au fait que la détermination d’un seul État membre compétent est l’un des principes-clés du règlement. La détermination de la législation applicable est une question importante à la fois pour la personne mobile, étant donné qu’elle a un impact sur la protection sociale dont elle peut bénéficier et pour les employeurs et les États membres concernés, car elle détermine où les cotisations de sécurité sociale doivent être versées. Toutefois, le législateur, en déterminant l’État membre compétent, a fourni peu ou pas de compensation financière de la part d’autres États membres. Néanmoins, la nécessité d’un meilleur partage de la charge financière ne s’applique pas nécessairement à tous les avantages sociaux dans la même mesure. Cela dépend en grande partie du type d’avantage et de la durée de paiement de l’État membre compétent. Cela attire automatiquement l’attention sur les soins de santé et les pensions (De Wispelaere, 2019). Toutefois, compte tenu de la discussion sur le « tourisme social », il serait peut-être préférable de tenir compte d’autres avantages.

Le paiement des retraites est l’exception importante au principe général d’un État membre unique et compétent. Les retraités ont droit à une retraite partielle de chaque État membre où ils ont été assurés pendant au moins un an, à condition que les conditions prévues par le droit national soient remplies. Le montant de ces pensions correspond aux périodes d’assurance effectuées dans chacun des États membres concernés. Ils ne sont soumis à aucune réduction, aucune modification, aucune suspension, aucun retrait ou aucune confiscation en raison du fait que le retraité réside dans un État membre autre que celui dans lequel se trouve l’institution chargée du versement des retraites. Les objectifs « d’équité individuelle » et « d'équité financière » pour la branche des retraites semblent donc être atteints par le règlement sur la coordination. En revanche, l’objectif n’est pas atteint dans le domaine des soins de santé puisqu’il n’y a pas d’arrangement en vue de partager les coûts de santé d’un migrant qui a cotisé aux organismes de santé publique de divers États membres. Les travailleurs en mobilité dans les États membres, ont l’accès immédiat au système de santé de leur nouvel État membre sans avoir contribué au système de sécurité sociale. Par exemple, une personne, qui aura travaillé pendant trente ans en Slovénie et qui aura déménagé en Italie, aura immédiatement droit à des soins de santé dans ce dernier État et à ses frais, bien que la personne n’ait jamais cotisé au système de santé en Italie.

En outre, le paiement des soins de santé aux retraités est très pertinent, en particulier compte tenu de son importance croissante dans une société vieillissante. Des règles spéciales de droit ont été créées pour les retraités en ce qui concerne l’accès aux soins de santé. Ces règles spéciales ont non seulement un impact sur les soins de santé dont bénéficient les retraités, mais elles déterminent également quel État membre doit supporter les coûts pour les soins de santé du retraité. Par exemple, un retraité qui perçoit une retraite en vertu de la législation de deux États membres ou plus, dont l’un est l’État membre de résidence, recevra des soins de santé de l’établissement du lieu de résidence et à sa charge. Un retraité, qui aura travaillé successivement pendant un an en Slovaquie, puis trente-neuf ans en Autriche et qui retournera en Slovaquie après sa retraite, percevra deux pensions, l’une de Slovaquie et l’autre d’Autriche. Il aura droit à des prestations de soins de santé conformément à la législation slovaque, dont les coûts seront entièrement pris en charge par la Slovaquie. En particulier, les États membres qui comptent un grand nombre de travailleurs frontaliers sortants, mais aussi les États membres qui accueillent un nombre élevé de migrants rentrés au pays, peuvent être affectés négativement par cette disposition de l’UE, car il est probable qu’une grande partie des deux groupes aura également une carrière professionnelle dans l’État membre de résidence.

En outre, lorsque le principe de l’agrégation des allocations de chômage est appliqué, l’objectif d’un partage équitable de la charge ne peut pas être atteint lorsqu’une personne n’aura travaillé que très peu de temps avant de perdre son emploi. Les travailleurs frontaliers, qui se trouvent entièrement au chômage complet, pourraient être considérés comme un nouvel exemple. Leur État membre de résidence est compétent pour le versement de l’allocation chômage alors que les cotisations de sécurité sociale ont été versées dans l’État membre d’emploi. Bien qu’il soit vrai que les règles de l’UE prévoient un système de remboursement, ce système n’est pas toujours considéré comme une compensation satisfaisante. Finalement, les dispositions relatives à la coordination des prestations familiales suscitent également des préoccupations financières dans certains États membres. Cependant, il ne semble pas y avoir de déséquilibre immédiat entre les cotisations et les prestations dans cette branche de la sécurité sociale.

Les exemples ci-dessus illustrent la charge qui est attachée à la détermination de l’État membre compétent. Sa détermination a d’importantes conséquences financières, à la fois en matière de perception des cotisations de sécurité sociale et en matière de versement des prestations sociales. L’importance de ces dispositions de l’UE peut être trop grande. Quoi qu’il en soit, il est nécessaire de trouver un meilleur équilibre entre ce que perçoivent les États membres en termes de cotisations et ce qu’ils doivent verser en termes de prestations. Les solutions possibles sont diverses et peuvent différer selon le type d’avantage ou de situation. Il est essentiel que leur impact soit évalué ex ante. Cependant, non seulement l’impact financier doit être pris en compte, mais aussi l’impact social, juridique et administratif.

  1. Facilité administrative

La charge administrative doit être traitée le plus efficacement possible entre les pouvoirs publics compétents ainsi qu’entre les personnes en mobilité en Europe et les pouvoirs publics compétents.

Aujourd’hui, la plupart des documents sont encore échangés sur papier par la poste ou par courriel entre les autorités publiques compétentes de l’UE. Cela changera grâce à la mise en œuvre du système d’échange électronique d’informations sur la sécurité sociale (EESSI) (Rentola, 2019). Il s’agit d’un système informatique qui permet aux institutions de sécurité sociale d’échanger des documents transfrontaliers électroniques. L’EESSI reliera les institutions de sécurité sociale à travers l’Europe et soutiendra les échanges internationaux de données entre ces institutions d’une manière sûre et fiable. L’échange de données sera effectué à l’aide de messages prédéfinis et conformément aux règles commerciales convenues par les États membres. L’ESEE a été mise à disposition par la Commission européenne en juillet 2017. Depuis lors, les États membres ont eu deux ans pour finaliser leur mise en œuvre nationale de l’EESSI et connecter leurs institutions de sécurité sociale aux échanges électroniques transfrontaliers. Le système remplacera les échanges papier de fichiers de sécurité sociale par des échanges électroniques, c’est-à-dire par des dits documents électroniques structurés. On peut s’attendre à ce que la mise en œuvre de l’ESEE ait un impact majeur sur la charge administrative des institutions de sécurité sociale. D’ici la fin de 2019/début 2020, il apparaîtra clairement quel impact l’EESSI aura sur les coûts administratifs et la charge des États membres.

En outre, on rencontre encore des obstacles formels à l’accès et à la transférabilité des droits sociaux (périodes d’attente trop longues, formulaires de demande uniquement disponibles dans la langue officielle de l’État membre, procédures de demande obsolètes, ...) (Fingarova, 2019 ; Matyska, 2019 ; Kasarova, 2019). De nombreuses autorités publiques n’offrent toujours pas la possibilité de demander des documents et/ou de s’enregistrer par voie électronique. Aujourd’hui, cela devrait être le moyen standard de faciliter le contact entre les citoyens et les autorités compétentes. Cela ne devrait pas exclure les contacts personnels au bureau, surtout compte tenu de la complexité de certains cas. Compte tenu de cette complexité, il est également extrêmement important d’intensifier les efforts dans le domaine de la communication entre les autorités compétentes et les personnes en mobilité. Par exemple, juste pour éviter le non-recours aux droits sociaux. On espère que la nouvelle Autorité européenne du travail (AET) récemment établie jouera également un rôle de premier plan dans le domaine de l’amélioration de l’information.

La coopération peut certainement être considérée comme l’un des principes-clés de la coordination des systèmes de sécurité sociale (Morsa, 2019). Les dispositions techniques et complexes, qui permettent la coordination, ne peuvent être couronnées de succès dans la pratique que s’il existe une coopération loyale et intense. Non seulement les États membres compétents ont une responsabilité à cet égard, mais certainement aussi les citoyens eux-mêmes. Outre la coopération, il est bien sûr important que des dispositions simples mais claires soient définies. Ici aussi, des progrès restent à faire.

Finalement, pour faciliter l’identification des personnes au-delà des frontières aux fins de la coordination de la sécurité sociale, la Commission européenne a lancé l’idée d’introduire un numéro de sécurité sociale européen. Toutefois, cela n’a pas été précisé davantage. Espérons que cette idée ne sera pas enterrée car on a certainement besoin d’une identification unique des personnes. Cela devrait bénéficier à la fois aux personnes en mobilité et aux autorités compétentes, tout en tenant compte bien sûr de la législation européenne et nationale en matière de protection de la vie privée.

  1. Équité concurrentielle

Le sujet hautement politisé du « dumping social » n’a pas encore été abordé dans cette contribution. Cela pourrait être classé en vertu de « l’équité financière », mais il pourrait être plus utile de l’inclure dans un objectif distinct « d’équité concurrentielle ». C’est la poursuite de règles du jeu équitables pour tous les acteurs impliqués. En vertu de la règle principale du règlement sur la coordination, une personne est soumise à la législation de l’État membre où elle travaille (« lex loci laboris »). Cette règle implique que toutes les personnes employées dans un État membre soient soumises aux taux de cotisation à la sécurité sociale applicables à l’employé et à l’employeur dans cet État. Par conséquent, ce principe empêche les employeurs d’embaucher des travailleurs étrangers à des taux de cotisation à la sécurité sociale plus bas que les employés nationaux. Toutefois, le principe du « lex loci laboris » ne s’applique pas lorsqu’un travailleur est envoyé par son employeur, pour une courte période, dans un autre État membre pour y travailler au nom de l’employeur. Le travailleur détaché et son employeur sont exemptés de payer des cotisations de sécurité sociale dans l’État membre hôte pendant une période d’affectation de vingt-quatre mois maximum et restent donc soumis au système de sécurité sociale de l’État membre d’origine. Ce cadre juridique procure aux entreprises de détachement un avantage ou un désavantage concurrentiel en termes de cotisations de sécurité sociale lorsqu’elles fournissent temporairement des prestations de services dans un autre État membre. En outre, les cotisations de sécurité sociale prélevées sur les salaires plus élevés des travailleurs détachés gagnés dans l’État membre hôte pourraient être plafonnées à un niveau maximal lorsqu’un plafond de revenu est dépassé.

Contrairement à ce que l’on croit, les taux de cotisation à la sécurité sociale ne diffèrent pas tant entre les « anciens » et les « nouveaux » États membres. Les taux de cotisation les plus bas s’appliquent même au Danemark. Néanmoins, la question se pose de savoir si l’exception au principe du « lex loci laboris » sera également défendable à l’avenir, bien qu’il semble peu probable que cela soit révisé à court terme. Après tout, ce point de discussion n’a pas vraiment été soulevé lors de la discussion de la proposition de la Commission en vue de réviser le règlement sur la coordination.

L’objectif « d’équité concurrentielle » doit être atteint en premier lieu en se concentrant beaucoup plus sur la lutte contre le détachement frauduleux. Cela suppose une meilleure information, un meilleur enregistrement, une meilleure application et une meilleure surveillance, comme préconisé par Jorens (2019). La première étape du processus d’exécution consiste à s’assurer que toutes les conditions de détachement soient respectées et donc vérifiées en détail avant qu’un document portable A1 ne soit délivré par les autorités publiques compétentes. Toutes les conditions de détachement peuvent perturber individuellement le marché du travail de l’État membre hôte si elles ne sont pas respectées. Ce déréglement se produira en premier lieu dans les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre et sensibles aux prix. Un contrôle strict du respect des conditions de détachement est certainement nécessaire dans ces secteurs, alors que dans d’autres, il est moins nécessaire. La question se pose donc de savoir si les conditions de détachement ne doivent pas être définies à partir d’une approche sectorielle. Faute de quoi, dans le cas d’une révision générale, il y a un risque que les secteurs où il n’y a pas de problèmes soient de même touché, alors que les ajustements pourraient ne pas être suffisamment adaptés aux secteurs dans lesquels un ajustement est souhaitable. À cet égard, l’expression « une solution unique » est susceptible de ne pas s’appliquer ici. Ces conditions peuvent alors être définies plus strictement dans les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre et sensibles aux prix, tels que le secteur de la construction, mais de manière plus flexible dans d’autres secteurs. En fait, le phénomène continuera probablement d’être une question de division dans l’UE tant qu’il n’y aura pas une telle approche sectorielle (De Wispelaere, 2019).

  1. Conclusion : le règlement sur la coordination ne peut pas tout résoudre

Les chiffres sur le nombre de personnes bénéficiant des règles de coordination révèlent un « État-providence européen caché » (Pacolet et coll., 2019 ; Fries-Tersch, 2019). Ce système européen de protection sociale pour les personnes en mobilité, bien développé, basé sur un niveau de techniques de coordination de haute qualité, a été développé sur une période de soixante ans. Néanmoins, les dispositions européennes semblent être sous pression, principalement en raison des craintes concernant le « tourisme social » et le « dumping social ». Toutefois, ces craintes ne peuvent pas toujours être justifiées sur la base de faits. Les modifications futures au règlement sur la coordination ne devraient donc être apportées que si elles sont vraiment nécessaires. Cela peut se faire en procédant à une évaluation juridique et socio-économique des règles actuelles et des modifications possibles à l’avance. Néanmoins, il faudra également tenir compte des pressions publiques et politiques. Ou cela devra  être réfuté sur la base de chiffres. Une solution consiste certainement à mieux accueillir un meilleur équilibre de responsabilité financière entre les États membres qui perçoivent ou qui ont reçu des cotisations de sécurité sociale/l’impôt sur le revenu des particuliers et l’obligation de verser des prestations sociales. À cet égard, la question de savoir « Où et pendant combien de temps les cotisations de sécurité sociale ont-elles été versées ? » est d’une grande importance. La proposition de 2016 de la Commission de réviser le règlement tient déjà compte de cette remarque et a tenté de faciliter une répartition équitable de la charge financière entre les États membres pour un certain nombre de branches.

Cependant, on ne peut pas s’attendre à ce que le règlement sur la coordination résolve tous les problèmes et tous les défis. Afin de contrer les phénomènes de « dumping social » et de « tourisme social », les États membres devraient développer davantage leurs systèmes de sécurité sociale afin qu’ils convergent vers le haut les uns envers les autres. La question est de savoir si l’Europe devrait ici prendre les devants en fixant des critères minimaux (Debroey, 2019 ; Van den Brande, 2019 ; Meesters, 2019). Après tout, il existe encore des différences majeures dans le développement des systèmes de sécurité sociale entre les États membres.