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Travail transfrontalier : les effets de la libre circulation des travailleurs dans l'UE

Du 26 au 28 avril 2017, la CNV (Pays-Bas), le groupe des syndicalistes chrétiens/chrétiennes dans le syndicat des employés privés FCG-GPA-djp (Autriche) et l’Organisation mondiale des travailleurs (WOW), en coopération avec le Centre européen pour les travailleurs (EZA) et l’aide financière de l’Union européenne ont organisé un séminaire intitulé « Travail transfrontalier : les effets de la libre circulation des travailleurs dans l'UE » : Ce séminaire s’est déroulé à Dubrovnik, en Croatie et cinquante-deux personnes en provenance de treize États membres de l’UE et des États candidats à l’adhésion y ont participé.

La libre circulation des travailleurs est l’une des quatre libertés dont jouissent les citoyens de l’UE. Cette liberté inclut les droits de circulation et de résidence pour les travailleurs, les droits d’entrée et de résidence pour les membres de la famille et le droit de travailler dans un autre État membre et d’être traité à pied d’égalité avec les ressortissants nationaux.

En raison, des divers droits du travail et droits sociaux ainsi que des diverses rémunérations et politiques salariales, les différences dans les coûts du travail varient énormément. Les problèmes liés à la sécurité du travail, à la loi du travail ou aux niveaux de rémunération sont réglés différemment dans les États membres. La politique du marché du travail ainsi que le pouvoir de contrainte des syndicats diffèrent d’un pays à l’autre.

Dans ce contexte, l’objectif des syndicats est de renforcer le salaire égal au même endroit. Les entreprises transnationales y jouent un rôle important. Les droits sociaux fondamentaux ont la priorité sur les libertés internes du marché parce que, à notre connaissance, nous sommes au centre de nos activités. Nous sommes convaincus que l’échange et une meilleure mise en réseau entre les syndicats de chaque pays mèneraient au renforcement des droits des travailleurs dans le contexte du travail transfrontalier.

Les conférenciers de toute tendance ainsi que les différents pays ont présenté leur vision et leurs idées. Ces conférenciers étaient :

  1. Message vidéo – M. Othmar Karas, membre du Parlement européen (Autriche)
  2.  Prof. Dr. Iris Goldner Lang, Jean Monnet professeur de droit de l’Union européenne, titulaire de la chaire de l’UNESCO sur la libre circulation des personnes, la migration et le dialogue interculturel à l’Université de Zagreb, faculté de droit (Croatie)
  3. Mme Ariadne Mavronikola, conseillère politique à la Fédération syndicale autrichienne – ÖGB (Autriche)
  4. M. Filip Van Overmeiren, juriste et chercheur au département de criminologie, de droit pénal et de droit social, Université de Gand (Belgique)
  5. Dr. Maria Škof, avocate et partenaire chez Grilc Vouk Škof (Slovénie)
  6. Mme Hester Houwing, conseillère politique marché du travail, CNV (Pays-Bas)
  7. M. Mads Peter Klindt, professeur associé, doctorat, Centre pour la recherche sur le marché du travail (Carma), département des sciences politiques, Université d’Aalborg (Danemark)

Le séminaire a démarré avec un message vidéo de M. Othmar Karas dans lequel il a souligné l’importance du travail transfrontalier comme l’un des éléments qui connectent les pays européens au marché du travail commun. Dans l’UE, nous n’avons aucune restriction et d’autre part, les personnes y ont le droit et la possibilité de travailler ou d’offrir des services dans un autre pays européen. Cependant, cette liberté ne devrait pas entraîner une dérégulation complète. L’abus de liberté devrait être contré et prévenu pour l’accomplissement du projet de l’UE quand il s’agit du succès de la liberté de circulation.

Mme Iris Goldner Lang a poursuivi avec sa partie sur le principe de subsidiarité et le rôle des Parlements nationaux : le cas de la Croatie. Les compétences de l’UE et des États membres sont clairement définies : Sous le principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l’Union européenne n’agit que si et dans la mesure où les objectifs de l’action proposée ne peuvent pas être suffisamment atteints par les États membres. Le 08/03/2016, la Commission a présenté sa proposition (COM(2016) 128 final) pour la révision de la directive sur le détachement des travailleurs 96/71. Quatorze chambres des Parlements nationaux de onze États membres ont envoyé leurs opinions réfléchies, affirmant que la proposition était en violation du principe de subsidiarité. Les raisons d’agir ainsi différaient d’un pays à l’autre. La Croatie était l’un des pays opposé à la révision proposée. Les deux raisons principales étaient les suivantes :

  1. l’objectif aurait pu être mieux atteint au niveau des États membres
  2. la justification concernant les principes de subsidiarité n’est pas proportionnellement assez détaillée

Selon Mme Goldner-Lang, les arguments croates ne concernaient pas la subsidiarité, mais ils ont été prononcés plus par crainte de perdre l’avantage concurrentiel (la raison pour laquelle quelques autres pays n’étaient pas d’accord avec la révision proposée).

Mme Ariadne Mavronikola a parlé de la pratique du dumping social en relation avec le travail transfrontalier. La législation n’empêche pas les abus, mais elle est plutôt utilisée comme modèle commercial. 86 % des détachements ont lieu dans l’UE-15, souvent des pays à faible salaire vers les pays à salaire élevé. Ce n’est pas souvent en faveur des travailleurs. Le principe de « Rémunération égale à travail égal au même endroit » devrait être mis en pratique selon Juncker. La Commission propose une règle spécifique : si le détachement est envisagé ou dure effectivement depuis plus de vingt-quatre mois, l’État membre d’accueil est considéré comme étant le pays, dans lequel le travail est effectué. Cela implique la sécurité juridique et la conformité à la législation sur la sécurité sociale. Cependant, le détachement dure moins de quatre mois. Cela signifie que la législation n’est pas conforme à la pratique. L’UE est actuellement à un tournant décisif : voulons-nous une Europe néolibérale ou sociale ?

M. Filip Van Overmeiren convient du manque de législation efficace. En outre, on a besoin de plus de convergence dans le concept de publication. De nombreuses questions doivent être abordées, telles que le manque de clarté, les problèmes d’interprétation, le manque d’information, la mauvaise coopération administrative, l’abordage très tardif du problème principal de mise en vigueur. On constate l’émergence d’une nouvelle ère pour le détachement des travailleurs : une meilleure surveillance et une meilleure conformité. En outre, les mesures nationales ne sont pas toujours conformes à la législation de l’UE. La zone entre la libre prestation des services et la protection sociale des travailleurs demeure très sensible. Et les partenaires sociaux ont ici un rôle décisif à jouer.

Dr. Maria Škof a parlé des défis spécifiques ayant trait à la libre prestation des services entre l’Autriche et la Slovénie. Une grande communauté de Slovènes vit en Slovénie, mais travaille en Autriche. Le droit autrichien ne prévoit pas assez pour ces travailleurs, entravant parfois même les activités (exigeant une quantité considérable de documentation) et l’accès au marché autrichien (particulièrement pour les petites et moyennes entreprises). En cas d’infractions, la pénalisation est très élevée, signifiant un risque élevé pour ces entreprises. L’Autriche agit ainsi sous la bannière de la protection sociale et de la prévention du dumping salarial et social, alors qu’en fait, c’est un moyen de protéger le marché national et ses travailleurs.

Mme Hester Houwing a déclaré que le marché intérieur avait créé la croissance économique et la prospérité, mais qu’il y avait aussi des inconvénients. Un certain nombre d’emplois disparaissent et la concurrence est injuste. Cette pression sur les conditions d’emploi et la sécurité sociale peut mener à l’euroscepticisme parmi les gens. Au Pays-Bas, l’enregistrement des travailleurs détachés manque (contrairement au système Limosa en Belgique). En outre, il devrait y avoir plus de coordination de la sécurité sociale au niveau européen. Des mécanismes de contrôle et les échanges d’informations transfrontaliers entres les institutions pertinentes, avec les délais d’échange d’informations devraient être en place. De plus, il devrait y avoir une meilleure inspection du travail transfrontalier avec une base de données européenne numérique. Tout cela devrait être en place pour assurer l’égalité de rémunération et combattre la fraude.

Le conférencier final, M. Mads Peter Klindt se concentre sur le cas du Danemark. Le Danemark était aussi contre la révision proposée, mais pour d’autre raisons que la plupart des autres pays. Pour le Danemark, cela n’était un problème de compétitivité. Au Danemark, il y a une forte tradition pour la réglementation du marché du travail au travers des conventions collectives, donc, non pas travers de la législation. Cette tradition a constitué l’épine dorsale de la réponse danoise à la révision proposée de la directive concernant le détachement des travailleurs, la Commission européenne opérant avec un nouveau concept de rémunération et indiquant que les niveaux salariaux pouvaient être soumis à la législation de l’UE. Cela est en contradiction avec les traditions et la pratique sur le marché du travail danois, d’où la réponse négative à la révision proposée. Cette tradition provoque aussi des difficultés sur le marché du travail. La combinaison des niveaux salariaux élevés, des nombreuses opportunités de travail, de la bureaucratie transparente et de l’accès aux prestations sociales font que le Danemark est une destination attrayante pour les travailleurs migrants au sein de l’UE. Mais en raison du modèle du marché du travail (pas de salaire minimum, manque de contrôle par les autorités du marché du travail), le dumping social y est très répandu.

On peut constater qu’il existe encore de nombreux obstacles à surmonter. Dans un marché avec tant de pays, de systèmes et de traditions concernant les négociations du travail, il ne sera pas facile d’adopter une directive acceptable pour tous. Mais évidemment, tout n’est pas grave. Alors qu’on ne parle que très souvent des abus du travail transfrontalier, la réalité montre que la plupart des activités transfrontalières fonctionnent très bien. Mais il est clair que pour certains secteurs, il reste encore beaucoup à faire pour prévenir l’abus des systèmes.